La mythique route 66
En nous réveillant, cela nous revient vite à l'esprit : ce n'était pas un mauvais rêve. On a évidemment le réflexe de regarder les dernières informations sur notre téléphone : plus de 50 morts, c'est la fusillade la plus meurtrière de l'Histoire des États-Unis. Vient alors le moment des "et si..." et je me rends compte qu'il y a eu besoin d'un sacré concours de circonstances pour ne pas avoir été au mauvais endroit au mauvais moment, la veille au soir.
Et si j'avais su pour ce festival country ? Puisque je connais le chanteur qui était sur scène, j'aurais probablement voulu y faire un tour.
Et si on avait échangé nos deux journées à Las Vegas, en commençant par visiter la ville, et non pas Red Rock ?
Et si on n’avait pas changé d'hôtel pour éviter de loger en plein centre-ville puisqu'on n'avait pas l'intention de le visiter à ce moment-là ?
Et si je n'avais pas eu ce rhume qui m'a causé cette grosse fatigue et que j'avais été d'accord pour passer par le Strip hier soir ?
Comme on dit, "avec des si…" Mais c'est troublant et je commence la journée en étant un peu fébrile.
On est les premiers dans la salle du petit déjeuner, avec une autre cliente, une personne âgée. La télé est allumée sur Fox News et ils ne parlent évidemment que de ça. Le petit déjeuner a plus de mal à passer que la veille.
D'autres clients de l'hôtel arrivent au compte-gouttes. Tout le monde est plutôt silencieux. Un homme s'approche de notre table et nous demande s'ils ont dit à la télé que l'hôtel Luxor était à nouveau accessible, ou pas. On lui explique qu'on n'a malheureusement rien entendu à ce sujet. Quelques minutes plus tard, on le revoit, cette fois avec sa compagne, qui a l'air choquée. Elle reste assise là, sans avaler grand-chose, puis ils repartent sans aucun bagage. On comprend que ce sont probablement des clients d'hôtels voisins sur le Strip qui n'ont pas pu rentrer hier soir. Ou pire. Un autre couple plus âgé part également avec comme seul bagage un sachet rempli de deux ou trois affaires. Cela rend la situation encore plus réelle.
Le temps de remonter chercher nos bagages puis on prend le chemin de la réception un peu avant 8h. En redescendant pour le check-out, un homme prend l'ascenseur avec nous, "Crazy people out there... It's horrible. Crazy world."
On prépare la voiture pour la journée qui nous attend. On refait le plein à la station de l'autre côté de la route et on lave le pare-brise : il doit être propre pour que je puisse prendre les photos ! On s'arrête un peu plus loin pour téléphoner à nos parents et à notre grand-mère. On quitte la ville, c'est une bonne chose, ça les rassure.
On commence par prendre la même direction que celle prise la veille pour aller au barrage Hoover, avant de bifurquer sur la US-95 qui descend vers le sud. Et elle descend, tout droit. C'est une longue ligne droite interminable. Au bout de plusieurs dizaines de kilomètres, des panneaux sur le bord de la route nous interpellent : "Highway segment dedicated to…" Le premier segment est dédié aux vétérans de la première guerre mondiale, puis le suivant aux vétérans de la deuxième guerre mondiale et ainsi de suite : la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, la guerre du Golfe et enfin la guerre contre le terrorisme. Cette grande route a d'ailleurs été officiellement renommée la Veterans Memorial Highway.
Plus loin, un camion est arrêté sur le bord de la route, entouré de plusieurs triangles de signalisations. Toutes les voitures devant nous se décalent sur la voie de gauche. Des panneaux l'expliquent à plusieurs endroits : "Move over or slow down for stopped emergency or maintenance vehicles - it's the law !"
Au beau milieu d'une infinie ligne droite, un oasis apparaît : une aire de repos superbement aménagée et qui semble récente. On est en plein milieu du désert et voilà qu'apparaissent un parking, un bâtiment en briques, des toilettes, des panneaux explicatifs… On se dégourdit les jambes dans cet espace qui est aujourd'hui très peu fréquenté.
Au bout de deux heures de route, il est temps de changer de direction ! Finie la longue ligne droite, il faut tourner vers Christmas Tree Pass. Je ne sais pas qui lui a donné ce nom mais il faut le faire pour parler de sapin de Noël en plein désert ! En tout cas, la route est très belle à cet endroit. Ses nombreux virages contrastent bien avec la route sans fin de laquelle on vient. Alors qu'on redescend après le col, une ville apparait au loin. Laughlin du côté Nevada, Bullhead City du côté de l'Arizona. Les deux villes sont côte à côte, séparées par le Colorado. Au milieu de nulle part, des casinos et des hôtels surgissent. Pourquoi ? C'est la question qu'on se pose tout de suite. Pourquoi ici ? De gros nuages de sable emportés par le vent sont dispersés dans la plaine.
On décide de faire une pause au Bullhead Chamber of Commerce puisque le panneau indique "Arizona Tourist Info". L'environnement est très joli avec des plages au bord du Colorado. Certains sont en train de mettre des jet skis à l'eau. Qu'est-ce que ce doit être agréable par cette chaleur ! Le panneau est très clair : vous risquez une amende voire la prison si on approche de l'essence en jerrican près du fleuve.
On entre dans le Visitor Center pour voir si l'on peut trouver des informations supplémentaires sur des visites que l'on n'aurait pas notées. Finalement, ce n'est qu'une pièce avec de nombreuses brochures placées sur des présentoirs. La dame nous demande où l'on va. Apparemment, on prononce Sedona tellement mal qu'elle n'a "jamais entendu parlé de cette ville". Je me dis que c'est totalement impossible. Après plusieurs tentatives qui resteront vaines, on se résout à pointer du doigt vers un prospectus où Sedona est inscrit en lettres capitales. On rigole un bon coup quand elle le prononce. Si-doh-nah. Quelque chose comme ça… On y était presque !
En repartant, on remarque que dans l'artère principale de la ville, des affiches sont accrochées à tous les lampadaires pour honorer des militaires. Il y a ainsi leur photo, leur nom et la branche de l'armée dans laquelle ils ou elles servent. Cette ville a l'air très portée sur l'armée : on peut aussi admirer une fresque représentant ces différentes branches lors d'un arrêt à un feu tricolore : la Navy, les Marines, l'Air Force…
Alors qu'on allume la radio pour écouter un peu de musique country, on entend des appels aux dons du sang. Comme un retour à la réalité, souligné par les nombreux drapeaux en berne qu'on peut voir dans la ville : que ce soit celui de l'école, du WalMart ou de la station-service du coin… Et puis un peu plus loin, on voit des magasins d'armes. Sensation étrange que de voir une devanture où il est écrit "Guns"; surtout après ce qu'il s'est passé la veille.
En sortant de la ville, on prend une petite route vers l'est. Arrivés à un carrefour, un panneau nous indique qu’on arrive désormais sur la célèbre Route 66. On est arrêtés là, sur un grand espace entre les deux routes, avec des montagnes de roches grises en face de nous, d'apparence lunaire. Il n'y a personne. On entend seulement le bruit du vent. On se croirait perdus sur une autre planète.
Oatman apparait devant nous un peu après 11h. On se gare sur un parking de terre bien cabossé, à l'entrée de la ville. Pour le coup, on est contents d'avoir un SUV…
La ville a été fondée en 1906 et a connu son essor grâce aux mines d'or jusque dans les années 1930. Oatman est connue pour ses ânes en liberté, dans la rue principale de la ville. Ils étaient à l'époque utilisés dans les mines ou bien en ville pour le transport de marchandises. Une fois les mines fermées, ils ont été relâchés dans la nature. Les ânes d'aujourd'hui sont donc tout à fait sauvage. Gare aux morsures ! Certains semblent avoir envie de faire du shopping… Ce n’est pas une blague : celui-ci est tout à fait réel.
On se promène tranquillement dans la ville, en essayant de s'abriter du soleil. Les devantures sont d'époque, ce qui nous transporte facilement dans le passé, même si la ville en elle-même ne se compose que de restaurants et de boutiques de souvenirs.
Dans l'une des boutiques, on trouve un petit musée au deuxième étage : une collection de vélos et de motos anciennes, ainsi que d'anciens panneaux et des restes de pistolets.
À midi (et à 14h15) un petit spectacle a lieu en pleine rue avec deux acteurs habillés comme à l'époque du Far West. Les dons reçus à la fin du spectacle sont reversés au Shriners Children Hospitals.
L'un des deux acteurs bénévoles demande à la foule de bien se mettre au milieu de la route afin de bloquer le passage aux voitures qui aimeraient éventuellement traverser la ville. Le spectacle n'est pas long, on espère qu'ils ont de la patience… Le sketch est celui d'un voleur de banque qui se fait interpeler dans la rue par un citoyen armé. Ils échangent quelques mots et le premier coup de feu retentit : toute la foule sursaute ! Il a dégainé en un éclair et le bruit est assourdissant. Les suivants nous prennent un peu moins au dépourvu.
Après cette petite animation, on reprend la route; une route qui serpente comme dans nos cols français. Je l'avais repérée sur la carte et c'est ce qui nous a décidé à faire ce détour pour rejoindre Sedona. Le revêtement semble avoir été refait, ou du moins réparé, par rapport aux images de Street View et elle est effectivement magnifique : des petits courbes serrées en dévers, qui offrent à chaque fois de nouvelles vues sur les alentours. Ces courbes semblent piégeuses car les restes d'une ancienne voiture trainent encore au fond d'un ravin…
On s'arrête en haut du col Sitgreaves, à un peu plus de 1 000m d'altitude, pour profiter de la vue sur la vallée qu'on a traversée et cette route sinueuse qu'on vient d'emprunter. De l'autre côté, on peut voir la vallée dans laquelle nous nous dirigeons.
Arrivés en bas du col, la célèbre station Cool Springs et le sigle Route 66 sur le revêtement apparaissent tel un mirage. Un petite station-service qu'on croyait abandonnée mais qui est belle et bien occupée, au moins par un magasin, sans aucune habitation à des kilomètres à la ronde.
Alors qu'on avance vers Kingman, la route traverse des lits de rivières très reconnaissables qui doivent se former lors des crues éclaires. Des panneaux préviennent sans cesse de ces endroits plus profonds où il ne fait pas bon rester lorsqu'un orage éclate. On voit également de nombreuses boîtes aux lettres par-ci, par-là le long de la route, et des chemins qui mènent à des petites maisons, bungalows ou caravanes parsemées un peu partout dans les environs. On se demande d'où leur vient l'idée de s'installer par ici et de cette manière : sans organisation réelle de l'espace. En regardant le plan ou la vue satellite, on se rend compte que tout cet espace de part et d'autre de la route est en réalité découpé en rectangles par des chemins, tels des pâtés de maison vidées de leurs habitations. Est-ce les crues éclaires qui ont rayés des quartiers entier de la carte ? Aucune idée. En tout cas, traverser cet espace est troublant et nous semble bien long. Au loin, on peut voit l'autoroute que l'on va reprendre. Mais on met un sacré bout de temps à la rejoindre…
On s'arrête une demi-heure sur le parking du Mohave Museum of History and Arts, le temps d'avaler le casse-croûte de midi avant de reprendre la route vers Seligman. On décide de prendre l'interstate et non pas l'ancienne Route 66 pour y aller, puisqu'elle ajouterait une demi-heure supplémentaire de route et l'on en a bien assez comme ça. Il nous reste encore trois heures de route pour rejoindre Sedona ce soir. On fait un petit arrêt au truck stop à la sortie de Kingman. Notre père ayant été routier, on se dit qu'il se serait plu sur ces routes au volant de ces monstres…
Les paysages changent au fur et à mesure des kilomètres. De plus en plus d'arbres bordent la route. On prend de la hauteur avant de découvrir ce qui se cache de l'autre côté de la bosse. En haut de la côte, la vue sur cette fantastique étendue est inattendue. On voit alors la plaine qu'on est sur le point de traverser, la route qui serpente au milieu de cet espace… On se croirait dans les états du nord du pays, au milieu des grandes plaines du Wyoming. Pourtant, nous sommes bien en Arizona.
On sort de l'autoroute pour passer dans la ville de Seligman qui recèle également de nombreux magasins sur le thème de la route 66, mais pas seulement. Un ancien van est recouvert de mots laissés par des centaines de touristes du monde entier. Plus loin, on trouve Martin !
Les voitures prennent vie avec ces yeux dessinés sur leur pare-brise. Nous voilà en plein dans Cars ! Les devantures sont très jolies et l'intérieur révèle d'anciennes voitures ou motos, en plus des souvenirs habituels. Au-dessus d'un passage de porte, des armes sont exposées avec à côté un panneau "Dead End". Doit-on le prendre comme un avertissement ?
Vers la sortie de la ville, on fait un nouvel arrêt, notamment au célèbre Snow Cap, où l'on s'autorise un dessert gourmand. En entrant, les murs et le plafond sont recouverts de coupures de journaux, de billets, de cartes de visites et de photos. Ce lieu existe depuis 1954 et c'est aujourd'hui le fils et la fille de l'ancien propriétaire qui gèrent l'établissement. C'est Cecilia qui nous accueille, d'une manière très taquine. "On fait une promo aujourd'hui, c'est moitié prix !" dit-elle en nous montrant la moitié d'un cône de glace. On prendrait bien des serviettes, oui volontiers. "Recyclées ?" nous demande-t-elle en nous tendant un essuie-tout usagé.
On rigole bien jusqu'à ce qu'on reçoive notre glace. Elle est énorme ! Elle ressemble à s'y méprendre à une glace italienne. Elle est en fait bien plus consistante que cela. Il nous faut plus d'un quart d'heure pour la finir… Mais on prend notre temps : on s'installe sur une des tables colorées disposées à côté pour la déguster, tout en regardant un groupe d'une quinzaine de motards japonais, accompagnés de leurs compagnes. Ils sont en train de s’équiper pour repartir, apparemment suivis par une camionnette de logistique.
Derrière le bâtiment, on trouve d'autres voitures à la façon Cars, des toilettes décorées et d'anciennes pompes à essence. Personnellement, j'ai trouvé que cette balade dans Seligman était une meilleure expérience qu'Oatman, même si les deux villes sont très différentes.
Clairement, on ne voyait pas l'Arizona comme ça. On pense généralement à tort que ce n'est que cailloux et roches. Et bien non. On continue de traverser la grande plaine avant de nous retrouver dans une forêt ! Des sapins en Arizona ? Voilà qu'on aura tout vu !
Il est près de 17h30 quand on quitte l'autoroute pour la 89A, une route pittoresque qui traverse d'abord Oak Creek Canyon avant de nous emmener à Sedona. Oh qu'ils aiment les ronds-points par ici ! Ils sont d'habitude plutôt rares aux États-Unis, remplacés par de simples carrefours en croix mais là, une demi-douzaine de ronds-points s'enchainent. Décidément, cet état ne cesse de nous surprendre…
Le début de la route est en travaux mais la lumière est splendide alors que le soleil commence à descendre. Les couleurs d'automne ajoutent encore de la beauté à cette forêt. Tout à coup, on se croirait revenu dans le parc de Shenandoah en Virginie…
Le point de vue Oak Creek Vista ferme à 16h, malheureusement. Mais ce n'est pas grave puisqu'on repassera par cette route en repartant de Sedona dans deux jours. On arrive alors dans Oak Creek Canyon et la route se met tout d'un coup à serpenter pour descendre de 200 mètres en quelques virages. Car on ne dirait pas comme ça, mais nous sommes à presque 2 000m d'altitude ! On traverse une forêt dense qui nous rappelle les routes autour de chez nous, dans les Vosges. Ce n'est pas à ça qu'on s'attend généralement quand on parle de l'ouest américain…
Les premières roches rouges apparaissent. Nous sommes à l'ombre mais leurs sommets sont encore illuminés par le soleil, qui est sur le point de se coucher. Et la lune surplombe ces sommets, comme pour ajouter son grain de sel. Voilà une bien belle arrivée dans le secteur de Sedona, dont on est déjà sous le charme !
On arrive à l'hôtel vers 18h30, après cette longue journée de route. Le Sugar Loaf Lodge est plus ancien que les hôtels dans lesquels on a dormi jusqu'à maintenant et fait bien simpliste mais on reçoit un très bon accueil de Thor, le gérant, qui dit quelques mots en français. Il nous demande d'ailleurs si l'on vient du Québec ou de France.
Bien que l'hôtel soit très simple, la chambre a tout ce qu'il faut et elle est propre. C'est le principal, que demander de plus ? Il y a très peu de chambres, donc peu de passage et de bruit. On est finalement très bien ici.
Stéphane commence à prendre le relais en ce qui concerne le rhume, qui ne m'a pas encore totalement quitté… On espère que ça va passer vite. Le temps de se réchauffer un plat au micro-onde que l'on avait acheté la veille, de prendre la douche et de regarder un peu la télé puis c'est l'heure de l'extinction des feux. Demain, on a prévu de se lever tôt pour assister au lever de soleil qui a lieu à 6h23 précisément !
1 commentaire
Jean Paul
23/01/2019 à 18:38Très jolies photos dans un style, ma foi, pas commercial pour changer. Et bien vu la découverte de Sedona, délaissée des touristes ordinaires qui préfèrent aller au Grand Canyon, coté nord de Flagstaff. Un fan de la Route 66. https://www.facebook.com/groups/1500571313338498/